Réforme fiscale des droits d’auteur : entre rationalisation et tour de vis fiscal
- laurenthousen
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La fiscalité des droits d’auteur en Belgique est – de nouveau – en mutation. À en croire l’accord budgétaire intervenu la semaine dernière, les professionnels créatifs éligible au régime tel que réformé en 2022 (artistes, auteurs, designers,…) verront leur situation changer à partir de 2026.
En effet, l’accord budgétaire acte la suppression des frais forfaitaires déductibles, une mesure qui promet de bouleverser le paysage financier de milliers de créateurs.
Les frais forfaitaires
Pour mémoire, les bénéficiaires de droits d’auteur pouvaient déduire jusqu’à 50 % de frais forfaitaires sur leurs revenus, jusqu’à 19.480 euros, puis 25 % jusqu’à 38.170 euros (indexés). Ce mécanisme, instauré en 2008, permettait d’alléger la charge fiscale des professions créatives, souvent caractérisées par des revenus irréguliers et des frais difficiles à justifier.
Il en résultait une réduction de la flat tax de 15%, déjà très avantageuse, à un taux facial de 7,5% ou un peu plus élevé en cas de perception de revenus de droits d’auteur au-delà de 19,480 € par an. Cette déduction des frais forfaitaires trouvait sa source dans le régime fiscal originel qui prévoyait cette possibilité de déduction de frais « forfaitaires » destinés à couvrir les démarches de l’auteur/créateur pour percevoir ses revenus mobiliers résultant de la cession ou de la concession de ses droits d’auteur.
Concrètement, cette mesure réduisait surtout (et considérablement) la charge fiscale de profils relativement précaires tels les intermittents du spectacle et les artistes aux revenus instables.
Avec la fin des frais forfaitaires, le taux effectif d’imposition des droits d’auteur passera de 7,5 % à 15 %. Cette hausse brutale reflète une volonté de l’État de rationaliser le régime, mais elle risque d’asphyxier les métiers intermittents, notamment dans le spectacle et les arts. A priori, les créateurs pourront toujours déduire leurs frais réels, mais cette alternative est souvent complexe à mettre en œuvre, surtout pour les indépendants aux revenus modestes. En outre, la charge de la preuve leur incombera vis-à-vis d’une administration devenue de plus en plus intraitable.
Le retour des informaticiens
Comme annoncé par l’accord de gouvernement de 2024 et confirmé durant l’été, les informaticiens font leur grand retour après avoir été implicitement écartés du régime par le Ministre des Finances de l’époque (par voie très discutable de questions parlementaires, le texte n’excluant pas juridiquement). Ce traitement différencié avait été validé par la Cour constitutionnelle dans un arrêt d’entérinement (laconique) du 16 mai 2024.
Cette différence de traitement sera donc à présent corrigée par la voie législative.
Un retour vers une certaine cohérence
En revenant sur les tribulations de ce régime fiscal, le lecteur constatera un retour vers une certaine cohérence en rouvrant le régime fiscal aux professions numériques. Leur exclusion, qui était davantage dictée par un mélange de considérations idéologiques et de besoins budgétaires à court terme, avait pris tous les airs d’une erreur stratégique, malheureusement entérinée par la Cour constitutionnelle.
Elle soulevait par ailleurs des questions quant à sa compatibilité avec le droit européen.
Ce retour permet de ré-envisager l’ancrage géographique de profils IT performants, ce dont notre économique ne peut que profiter (programmation, R&D, cybersécurité…).
Cependant, la solution retenue aujourd’hui apparaît sévère vis-à-vis des artistes, journalistes et intermittents dont le modèle de rémunération comprend une forte part de droits d’auteur. Ceux-ci voient leurs impôts multipliés par deux, avec un très bref préavis (a priori, un mois, voire moins dès lors que le texte demeure encore à adopter). À noter toutefois que le régime reste bien plus favorable qu’une taxation à l’IPP, y compris pour les professions les plus touchées.
La cohérence juridique retrouvée se paie donc au prix d’une précarisation accrue des métiers les plus exposés, tout en corrigeant l’incohérence de fond des frais forfaitaires.
Peut-être aurait-il été plus loisible de procéder à la suppression de ces frais dès 2022, selon une clef graduelle (50%, puis 30%, puis 20%, etc…) afin de permettre à l’économie de s’adapter. Ceci aurait naturellement augmenté les recettes de l’État tout en préservant la compétitivité du régime, mais en épargnant le pays du four juridique qu’est l’actuel article 17, §1er, 5° du CIR/92.
Un texte encore en suspens
Enfin, n’oublions pas que cette réforme n’est pas encore définitivement adoptée. Les discussions parlementaires pourraient encore modifier son contenu, et son entrée en vigueur en 2026 laisse une marge de manœuvre pour des ajustements.
Or comme nous le savons tous déjà, seul le texte adopté compte… avec ses travaux préparatoires, ses questions – réponses au Gouvernement, les éventuels arrêts interprétatifs de la Cour constitutionnelle, ou encore l’éventuelle circulaire ministérielle.




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